LE CAFE AL NOFARA

ou l'art de conter

LE CAFE AL NOFARA: l'art de conter

Depuis 250 ans sous les regards bienveillants des portraits de famille, des présidents et des mollahs ainsi que des vieilles photos de Damas acrochées aux murs la tradition au Café Al Nofara est toujours vivante. Seule concession à notre époque la télévision qui n'a pas droit de cité quand le conteur prend la parole. Installé sur son fauteuil lui même juché sur un piedestal le conteur domine une assemblée qui suit attentivement où en songeant ses gestes et mimiques.

...Des volutes bleues libérées par les narghilés parfument l'atmosphère d'une odeur légerement acre et sucrée invitant à la nonchalence et malgré le ballet incéssant du préposé aux pipes à eau le conteur n'en poursuit pas moins son récit ne s'interrompant que pour avaler une gorgée de thé, dire quelques plaisanteries ou répondre aux perplexités de son auditoire.
Le spectacle est aussi dans la salle minuscule du café les clients rentrent ou sortent se frayant sans bruit un passage entre les tables et les chaises, y consomment du thé tout en faisant rougir la braisse du narghilé, participent en faisant vivre et revivre l'histoire mainte fois entendue par des cris de guerre ou de victoire selon les passages lus.
Dans le café Al Nofara le temps semble suspendu à un fil tenu qui nous relie à notre imaginaire, à notre envie d'échapper du réel, à notre envie d'être le héros de l'histoire et de briller au firmament.
Depuis plus de deux siècles des générations de syriens prennent place tous les soirs sur les banquettes et les chaises de ce café mythique pour écouter un bout de leur feuilleton préféré pouvant durer des semaines ou des mois. Ce sont des épopées qui narrent de vieilles histoires passionantes, qui parlent de héros tout droit sorti de la nuit des temps, ce sont des contes imaginaires, des contes des mille et une nuits qui font rêver, qui nous emmènent loin, très loin…
L'épée virevolte, fend les airs, s'abbat avec fracas sur un guéridon en fer, mime la mise à mort des méchants accompagnée par les cris de joie des spectateurs : le conteur est aussi acteur, ses mains et ses yeux savent attirer l'attention en soulignant les passages les plus importants rendant ainsi le récit vivant et accessible à tous.
Du minaret de la mosquée des Omeyades le chant du muezin s'élève appelant à la prière, il pénètre jusque dans la salle comme pour rapeller les hommes à plus de rigueur. Mélange de profane et de sacré mais la bataille entre les deux hommes dure depuis si longtemps qu'Allah se réjouit de cette rivalité qui en fait n'en est pas une car même si les deux voix s'entrechoquent, se superposent, se font concurence, se séparent, se dépassent c'est pour mieux se rejoindre pour sublimer le triomphe du bien sur le mal dans un seul et même cri.