RECIT DE VOYAGE

ETHIOPIE : SUR LE TOIT DE L’AFRIQUE

Un épais brouillard emmitoufle la métropole italienne, nous sommes en janvier et les plaines lombardes en cette saison aiment bien se vêtir de cette ouate laiteuse. Abyssinie que tu es loin encore car nous devons transiter par la capitale anglo saxonne avant de poser le pied, nos pieds sur les traces de tes illustres prédécesseurs.
Et il pleut sur Addis Abebba ! Mais Yemane, notre chauffeur, est là fidèle au cœur de la nuit et prendra en main la situation en nous conduisant dans un hôtel de son choix où nous nous endormirons sans même en savoir le nom! Le lendemain, encore un peu fatigué par ce voyage au long cours nous ferons une rapide visite de cette capitale de bric et de broc qui tente par un semblant d’organisation de discipliner ses petites maisons en quartiers populaires.
Les gens déambulent tranquillement dans les rues, vaquant à leurs occupations et seul le bruit de quelques véhicules (nous sommes un dimanche) trouble la quiétude des vieux quartiers italiens. A vrai dire il ne subsiste guère grand chose de cette époque coloniale que l’un de nous, italien, aimerait bien retrouver…
Noyés par les vapeurs d’essence qui nous piquent le nez et les yeux c’est un interminable filon de véhicules poussifs qui tente désespérément de rentrer dans la ville que nous croisons avant que les tentacules des derniers quartiers ne laisse la place à la campagne éthiopienne émaillée de jolies cases en pierres ou en torchis aux toits de chaume noirs.
Une incessante foule blanche que l’on aperçoit du bas de la ville monte et descend les rues à la quasi verticale de Lalibella se pressant aux différentes cérémonies d’un pas toujours soutenu que nous avons du mal à suivre. Car Lalibella, la copte, est en fête !!! C’est la Timkat, l’épiphanie copte où l’on célèbre le Christ avec grande ferveur. Les cantiques des prêtres ont pris possession de la ville, chaque rite est ponctué par cette mélopée lente et douce qui comme un swing berce la foule. Ici pas de débordement ou de cris, on partage la joie de la naissance du Christ en regardant les prêtres chanter et danser. Une atmosphère de paix, une grande plénitude ont envahit la ville du roi Lalibella en cette veille de la Timkat. Des pèlerins dorment à même le sol enveloppés dans de grands draps blancs à l’endroit ou se dérouleront les rites du baptême, veillant ainsi sur tous les livres religieux des églises environnantes réunis pour l’occasion sous une même tente, alors que dans une autre les prêtres chanteront toute la nuit accompagnant leurs danses de la lancinante musique des tambours et des sistres et c’est baigné de lumière et béni que nous quitterons Lalibella.
Nous roulons cahin cahan sur la route mussolienne, 1800 kilomètres d’Addis Abebba à Asmara construite par les italiens à la fin des années trente. Que penserait donc Mussolini si au lieu de son armée glorieuse il voyait défiler ce bataillon de caravanes d’ânes croulant sous leurs lourdes charges, ce flot ininterrompu de paysans et d’enfants qui d’un pas rapide et régulier se pressent vers les petits marchés ruraux et les écoles? De l’occupation italienne il ne reste presque plus que ce long ruban de bitume où marchent inlassablement des millions d’éthiopiens… car il marche l’éthiopien comme si sa vie en dépendait! Mais où donc peut-il bien aller? Il marche de son pas docile et chaloupé, presque toujours pieds nus, parfois de méchantes chaussures accrochées à son bâton de pèlerin indispensable et fidèle ami de l’abyssinien. Il ne se déplace jamais sans lui, ils ne font qu’un tellement ils sont indissociables, plus qu’une aide c’est lui qui logé sur les épaules va caractériser les diverses ethnies qui ainsi marchent vers leur destin. Par nuées, grappes, groupes, les hommes, les femmes, les enfants tous avancent, tous se dirigent droit devant parfois très lourdement chargés, parfois accompagnés de leurs troupeaux; comme un long défilé humain qui, sans bruit, comme des réfugiés, cherche sa place sur cette terre.
Mais d’où viennent-il, ont-ils un objectif précis? on se le demande à les voir ainsi déboucher de partout, de derrière les arbres, les amas de pierres, les montagnes. Partout où se posent les yeux des pauvres hères apparaissent. Ils dévalent les pentes raides pour économiser des kilomètres coupant par ci, coupant par là essayant ainsi de rejoindre au plus vite leur destination. Mais où vont-ils donc ainsi pas après pas ? au marché ? à l’école? dans les champs? nul ne semble le savoir ni s’en soucier pourtant leur longue marche a bien en soi une finalité : celle d’arriver a un jour meilleur.
En attendant ils foulent la terre noire comme la couleur des fronts en sueur qui la retournent espérant que leur longue quête vers le bonheur sera brève. Mais dans ce pays si démuni chaque pas semble l’éloigner de ce but et l’éthiopien continuera, encore longtemps, à marcher de sa longue foulée vers son destin sur le toit de l’Afrique…

LE CHAUFFEUR PEUT ÊTRE CONTACTE A: sharyemethiopia@gmail.com ou http://www.sharyemtours.com/