TOI LE NOMADE

Toi le nomade aux bottes recourbées pour ne point férir la terre, au nom de la modernité tu as accepté que l’on saigne ta terre. S’il suit tes anciennes pistes ce malheureux et infini sillon gris divise ta steppe en deux, ton œil ne peut plus vagabonder sans fin sur l’océan vert au-dessous d’un néant bleu.
Certes d’aucun diront il était temps que l’on puisse circuler confortablement d’autres qu’au fond que des malheurs naîtront de vouloir dompter la steppe. Mais toi, le nomade au dell élimé qui admire l’aube argenter l’horizon, puis rosir le ciel derrière les brumes bleutées et inonder enfin la vallée d’une lumière chaude et dorée qui font fumer les brouillards matinaux autour de ta yourte tu regrettes le temps où seuls passaient des chevaux au galop effrénés.
Toi le nomade, à qui on avait appris, avant même de savoir marcher, à chevaucher sans peur dans l’immensité de ton pays te voilà réduit à chercher ton paisible cheptel en moto ou land Cruiser. La monture toujours prête à partir attachée devant la porte de ta yourte a perdu son travail, les chevaux comme les chameaux dans le Gobi redeviennent lentement tous sauvages.
Toi le nomade au regard minéral, immobile et solide comme la Mongolie elle même tu regardes ces changements d’un œil réjouit mais aussi inquiet car tu sais que la nation si elle est un pays à la culture millénaire est aussi un pays à peine sorti de l’enfance. Et les enfants font des erreurs en grandissant…
Toi le Grand Chinggis Khan tu n’as pas su préparer tes enfants au futur. Toi le grand stratège qui les a conduits aux confins d’autres mondes tu n’as su prévoir que le péril pourrait venir d’ailleurs que du sud donc de la Chine, ton ennemi juré à exterminer à jamais. Même ton esprit enserré dans l’immense statue argentée tournée vers l’Empire du Milieu ne peut les aider à affronter les défis des prochains siècles. Les maux de la globalisation sans apport de solution se sont déversés brusquement dans les villes et doucement envahissent déserts, steppes et montagnes.
Toi le nomade que le thé au lait salé brûle les lèvres avec délices aux mille souvenirs d’enfance, penses-tu que les antiques traditions te survivront ? Que tes enfants sachent les apprécier au point de les intégrer à la nouvelle ère qui s’annonce ?
Toi le nomade qui suit du regard ce long ruban d’asphalte tu sais que le quitter te fera marcher libre sur ta terre vierge. A pied, à cheval ou à bord d’un rustique UAZ il faut se dépêcher de suivre l’une des mille pistes à peine tracées pour trouver la perfection infinie de la steppe et des montagnes ainsi que des nomades beaux et fiers. Hors des lignes dessinées et décidées par les hommes des villes qui ne connaissent rien, ne te connaisse pas du tout, toi Mongolie orgueilleuse de ton Histoire, tu es toujours vraie, authentique, humble, hospitalière. C’est au plus profond de la steppe, au creux des montagnes que réside ton âme profonde et sensible. C’est là que se fera la Rencontre.
Alors toi le nomade, le torse fier et droit pour dégager ta gorge et ta poitrine tu entonneras, les yeux clos, un chant diphonique traditionnel, dont la mélopée magique touche le cœur de chacun. Deux mélodies dans la même voix, l’une de gorge, rauque et basse profonde et sourde comme tes steppes immenses et l’autre du larynx ondulée et changeante comme le galop des chevaux libres dans l’herbe affolée par les vents.
Ainsi, toi le nomade tu rends hommage à ta Terre et nous voyageurs de passage restons à jamais sous son charme.

Le chauffeur peut être contacté en anglais:** mejet69@yahoo.com** ou voir mongoliatours.org